Texte : Extrait du livre « Maman je me souviens » de Sylvia Soussin

Maman, je me souviens…

Maman, tu me racontais …
Tu me racontais ton histoire… 
Tu me livrais des morceaux de ta vie. 
J’écoutais avec curiosité, avec intérêt, même si quelquefois, c’était avec un sourire qui se voulait condescendant. Aujourd’hui, je voudrais démêler l’écheveau, renouer les fils les uns aux autres alors que toi, tu restes là, muette, dans ta longue boîte tapissée de satin blanc. Muette et seule, comme tu l’as souvent été dans ta vie avec les faits de ton existence qui ne te laissaient pas toujours le loisir de prêter attention aux petits détails, aux virgules de ton histoire.
Je veux rester là, avec toi, malgré l’ambiance blafarde et le silence glacé de cette chambre faite pour la Mort. Un jour, Maman, je te le promets, j’écrirai tout ce que tu m’as confié au long des jours, au long des soirs. Je t’entends déjà protester

- « Qu’est-ce qui te prend ? Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Te saisir de ma vie et l’exposer ainsi en public ? »

Oui, je m’attendais bien à ta colère. Toujours aussi modeste, toujours aussi discrète ! Mais ta vie a été si riche en évènements, en péripéties de toutes sortes. Dis-toi bien, qu’à travers toi, c’est toute une époque que je ferai revivre. Sinon, comment veux-tu que tes petits-enfants, tes arrière-petits-enfants, tous les autres enfants, comment veux-tu qu’ils aient connaissance de cette période passée. Comment veux-tu qu’ils fassent la différence avec ce qu’ils vivent actuellement. Et puis, et surtout, j’ai tellement envie de parler de toi.

- « Bon ! En admettant ! Je t’entends déjà parler « du bon temps d’autrefois ». Il est vrai que j’ai connu bien des joies durant ma longue vie, mais que de difficultés, de souffrances aussi, ne l’oublie pas ! »

Alors tu vois bien Maman, que j’ai besoin de ton aide, besoin que tu continues à évoquer pour moi tes souvenirs, comme tu le faisais au cours de nos longues soirées d’hiver, autour du poêle.

- « Mais, je t’ai déjà tout raconté. Que veux-tu que je te dise encore ? Fouille dans ta mémoire et ne viens pas me dire qu’elle est déficiente. Allez ! Réveille-la un peu ! »

Oui, petite Maman, tu as d’autant plus raison que j’en profiterai pour exprimer toutes les émotions qui naissaient en moi à chacune de tes évocations. Pour dire combien tu m’as éveillée à la connaissance des problèmes de la société dans laquelle tu as évolué. Tu es restée seule si longtemps, muette quant à certains faits de ta vie.. Il est vrai qu’à l’époque, il n’était pas de bon ton d’étaler ses problèmes au grand jour. Un problème devait être résolu ? on le résolvait comme on pouvait, et le plus souvent seule !

- « Allons ! Ces problèmes, je les ai vécus avec ma famille. Et, alors ? J’ai surmonté les difficultés, toutes les difficultés, les horreurs d’une guerre, de deux, trois guerres même ! N’en parlons plus ! »

Mais si Maman, je veux en parler pour que ces horreurs ne se reproduisent plus. On pourra dire de mon entreprise qu’elle est bien présomptueuse. Peut-être, mais il faut que les idées avancent et, pour qu’elles avancent, il ne s’agit pas de mettre le passé sous le boisseau.

- « Telle que tu es partie, tu irais jusqu’à te mêler de tout ce qui a fait ma vie, et jusqu’à ma propre intimité ? »

De toute façon, de ton intimité, tu m’as dit si peu de choses. C’est seulement à certaines de tes réflexions que j’ai pu deviner ce qu’elle avait pu être. Sois certaine que ce sera toujours en te respectant et en y mettant les formes.

- « Maintenant vois-tu, je dois rejoindre ce qui sera désormais mon éternelle demeure. Je ne peux même pas te confier mon adresse, ce n’est pas permis. Par contre, je surveillerai l’évolution de ton récit, un récit que tu n’écriras que bien plus tard, je le pressens. Tu as mieux à faire pour l’instant. La vie te tend les bras. Jouis-en autant que tu le pourras, autant que tu le voudras. Et lorsque les ans auront suffisamment chargé tes épaules, tu pourras faire une pause. Ta réflexion aura mûri et tu pourras écrire en toute sérénité. Tu laisseras de côté les scories inutiles pour ne relater que l’essentiel. Peut-être évoqueras-tu ce que je t’aurai transmis et qui aurait pu te faire avancer dans ta vie. Si tu as des critiques à m’adresser, ne crains pas de le faire, une maman peut tout entendre »

Sylvia SOUSSIN est l’heureuse lauréate du Prix Catherine Mandier 2009 pour son livre « Maman, je me souviens »

Cet article, publié dans Textes écrits en atelier, est tagué , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Un commentaire pour Texte : Extrait du livre « Maman je me souviens » de Sylvia Soussin

  1. Ping : Prix Catherine Mandier 2009 | Association histoire d'écrire

Les commentaires sont fermés.